Les bavarois montent ligne...
Des clameurs répétées, alimentées par de généreuses tournées de schnaps résonnaient depuis le refuge du Devin, annexé au profit de jeunes officiers bavarois.
Des compagnies de la Bayerische Landwehr Infanterie, ainsi que des sections de chasseurs à bicyclettes étaient arrivées depuis les casernes d'Alsace.
Une activité intense régnait tout au long du chemin qui descendait vers l'étang du Devin. La pente, à droite était creusée comme un gruyère. Des galeries conquises dans la terre et la roche, assuraient abris et espaces nécessaires à la vie de la troupe. Stockage, réparations et tous ces métiers qui contribuent à l'efficacité de l'outil de guerre y étaient représentés.
Un bourdonnement régulier, jour et nuit, était diffusé par le dernier bâtiment, à quelques pas de l'étang. C'était la centrale électrique et la station de pompage de l'eau potable.
Les soldats aimaient beaucoup s'arrêter devant l'entrée de la Bäkerei (boulangerie), surtout en cette période de froid sibérien, autant pour la chaleur généreuse qui en jaillissait, que pour les odeurs sublimes de pain frais.
La boulangerie était le royaume de l'Obergefreiter (caporal) Heinrich Grossmeyer, boulanger professionnel, originaire de München. Malheur à celui qui aurait tenté de pénétrer dans son antre. Même certains officiers se firent sèchement rabrouer.
Les grosses miches rondes de pain de seigle arrivaient par le téléphérique, depuis le village de Lapoutroie, et étaient déchargées à la gare intermédiaire, baptisée König Ludwig, à flanc de montagne.
Ce jour là, le 20 février 1915, un gros problème affola tous les gradés. Le câble du téléphérique s'était rompu dans la nuit, en raison de la surcharge des nacelles en matériels et en munitions, destinés à la ligne de front. Il n'y aurait donc pas de pain, chaud ou froid. Une véritable catastrophe.
Informé très tôt, Heinrich Grossmeyer fit un inventaire rapide de sa boulangerie de campagne : quelques sacs de farine de seigle, de la levure et de la cassonade. C'était beaucoup, mais pas assez pour faire du pain, pour trois nouvelles compagnies attendues d'un moment à l'autre, arrivant du village.
L'Obergefreiter tourna en rond, lâchant entre ses dents des rafales de "verflucht!"
Une marque de fournisseur sur les sacs de farine lui donna une idée.
Il alla voir son ami Zepp, forgeron et maréchal-ferrant qui avait sa forge du même côté du chemin, un peu plus haut.
- Salut Zepp, tu ne pourrais pas me faire un emporte-pièce dans cette belle douille de 77? Tiens, je t'ai fait un dessin, et j'aimerais l'avoir... hier.
Heinrich poussa les feux de son four pendant que la pâte levait. Il découpa ensuite des centaines de fines galettes avec son emporte-pièce.. Les premiers hommes arrivaient. Chacun reçu deux galettes des mains d'un Heinrich Grossmeyer rayonnant de fierté.
- Tenez les enfants, elles vous porteront bonheur, et vous penserez à tonton Heinrich en les mangeant.
C'est ainsi que naquit la légende de la galette du Devin, de la galette en forme de trèfle à 4 feuilles.
Le lendemain, le 21 février, allait être une dure journée...