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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 09:32

Extrait du chapitre 3 de  La crème anglaise

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                 Le bédeu

 

 

La plupart des locataires du Foyer étaient de retour ce dimanche soir. Des bruits de voix, des rires et des exclamations arrivaient par vagues depuis la salle commune. J’avais broyé du noir une bonne partie de l’après-midi, les  rires m’incitèrent à faire connaissance de ce monde bruyant.

Quelques tables et une douzaine de chaises meublaient le côté des fenêtres, face à la Seille. Les cris et les rires provenaient de l’espace à droite qui monopolisait toute l’activité. Des rafales de chocs secouaient un baby-foot où quatre joueurs, jambes écartées, dos courbés et visages au ras des manettes se livraient un match endiablé, au milieu d’un épais nuage de fumée bleue en suspension autour d’un grand abat-jour. Un autre groupe, plus important, encourageait des lanceurs de fléchettes, ce qui m’intéressait plus que le baby-foot. Je pratiquais ce jeu tous les jours, pendant le coffee break à la C.E Section, où je jouais avec d’autres civils, contre les militaires. Nos parties enthousiastes, à chaque fois dominées par un esprit revanchard bon enfant, n’avaient rien à envier à ce que je voyais. Personne n’avait encore noté ma présence jusqu’au moment où un grand frisé aux mèches bouclées m’interpella :

- Eh toi, tu sais jouer, tu sais bien tirer ?

- Oui, un peu, pourquoi ?

- Mon pote a mal au poignet et les autres là sont des brêles, on fait équipe ?

- Si tu veux, qui commence ?

- Toi, je vais voir ce que tu as dans le ventre.

Je pris position, la jambe droite bien plantée, levai le bras, concentré sur la cible. J’allais tirer, dans un grand silence subit. Je devais commencer par un double dans l’étroite couronne extérieure. Je fermai un œil, le poignet souple, animé de petits mouvements et je tirai.

- Oh !

Les respirations retenues se lâchèrent, les compliments fusèrent, les tapes dans le dos faillirent me faire tomber.

- Bien joué, t’as intérêt à continuer sur cette lancée. On va leur foutre une branlée ! Moi c’est Félix, et toi ?

- Moi c’est Luc.

Félix voulait trop bien faire et ratait souvent le point. Les adversaires, des teigneux, ne m’arrivaient pas à la cheville. Je dois admettre que je prenais un plaisir sadique à réussir chaque lancer et voir les mines déconfites, presque hargneuses. La tension se faisait sentir, les joueurs du baby-foot s’étaient rapprochés, curieux et peu avares d'applaudissements qui irritaient de plus en plus les adversaires dont je connaissais à présent les prénoms : René et Fernand. Ils s’excitaient, s’invectivaient dans un français trempé dans un fort accent du sud-ouest. Ma dernière fléchette s’enfonça dans le mille, partie terminée.

Félix me prit par les épaules, heureux comme un gamin.

- Tu m’as bluffé Luc, on fera équipe dorénavant. Je t’offre un Coca, tu pourras me raconter ce que tu fais.

Nous nous assîmes à une table libre.

- Allez, commence par toi.

Je m’exécutai et constatai au fur et à mesure les yeux de Félix s'agrandir.

- Eh ben, tu me souffles ! Alors, comme ça, tu parles anglais, la vache ! Moi c’est plus simple. J’ai terminé mon apprentissage de ferblantier et je vais être embauché comme ouvrier, avec un bon salaire. En plus, ce n’est pas loin, je peux y aller à pied. c’est au Sablon.

- Ne me dis pas que c’est chez le ferblantier à côté du garage ?

- Si, tu connais ?

- Un peu, tu parles si je connais ! C’était mon fief pend….

- On peut ?

René n’attendit pas de réponse, tira une chaise et s’assit, un sourire amusé en nous fixant tour à tour. Fernand arriva en trainant les pieds, deux bouteilles de Coca dans une main.

- Alors les champions, on arrose la victoire ?

René porta le goulot à la bouche, avala une longue lampée, posa la bouteille en la claquant sur la table et rota, un rot puissant venu du fond des entrailles.

Félix secoua la tête.

 

- Tu sais très bien que je peux me passer de potes comme toi et ton ombre.

René serra les mâchoires, j’entendis crisser ses dents et regrettai d’avoir à assister à ce ressemblait à un défi. Fernand ricana.

- Que veux-tu René, notre Félix a trouvé un champion…

Félix s’appuya contre le dossier de sa chaise et la maintint en équilibre sur les deux pieds arrière. Il ne semblait pas le moins du monde énervé par le manège des deux bouffeurs de cassoulet. Et pour cause. Il faisait une tête de plus que René, et deux têtes de plus que Fernand, de plus, ses épaules de débardeur en imposaient. René se fit tout doux et demanda, intéressé :

- Alors comme ça, tu travailles chez les Canadiens…

- Oui, comment tu le sais ?

- Ici on sait tout et Madeleine ne sait rien me refuser, rien.

Fernand ricana de nouveau, comme s’il s’agissait de son mode de communication 

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  • : Le blog de Gérard Stell
  • : Ce blog a pour but de me rapprocher de mes lectrices et lecteurs, de communiquer toute la fantaisie de mon imagination, qui, soyez en convaincus, ne veut pas connaitre de limites. Romans, nouvelles sont disponibles sur Amazon Kindle. Je vous parle également de mes activités de volontaire bénévole au sein des CCFF de Fréjus. Une visite de Metz et de ses environs, cadre de mon enfance, s’imposait, ainsi qu’un détour par un petit coin attachant des Vosges.
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